Même si les médias nous font ‒ trop rarement ‒ rêver en nous partageant les contes de fées et les réussites des championnes, la majorité d’entre elles vivent au quotidien des challenges et pas seulement sur les parcours de golf.
La fenêtre vers la réussite peut se refermer très vite et beaucoup de sacrifices sont exigés. Les joueuses rencontrent plus de freins que leurs homologues masculins au cours de leur carrière. En effet, elles ont moins de revenus disponibles, moins de sponsors, moins de médiatisation, des cycles menstruels qui ont leurs lots de contraintes et la maternité, souvent synonyme de fin de carrière.
Bienvenue dans les coulisses du monde du golf professionnel féminin, un monde qui n’est pas toujours tout rose.
Comment créer du sponsoring sans image ?
D’après une étude de YouGov parue en 2020, près d’un Français sur deux ne connaît pas de sportive en activité.
D’un point de vue général, entre 5 et 10% des contenus de la presse quotidienne sont consacrés au sport féminin. À la télévision, le Conseil supérieur de l’Audiovisuel estime qu’entre 14 et 18,5 % des programmes sont dédiés au sport féminin.
Le manque de représentation est encore plus important en ce qui concerne les golfeuses, car notre sport souffre déjà d’un manque de visibilité dans les médias non négligeable.
C’est un peu compliqué en tant qu’athlète de trouver des sponsors, car comme nous n’avons pas de médiatisation, notre cas est difficile à défendre. Sur le LETAS nous avons très peu d’exposition et sur certains tournois, aucun photographe
Lucie André, joueuse du LETAS de 34 ans
Tout cela nuit au développement des partenariats financiers et du sponsoring pour les joueuses.
Par la force des choses, aujourd’hui, sponsoriser le golf professionnel féminin entre dans une démarche d’augmentation de l’image de marque de l’entreprise et non dans un but de générer de la publicité de masse. Pour l’entreprise, cela permet d’incarner une démarche RSE autour de la mixité et de l’égalité des chances.
“La communication? C’est nous qui la faisons via nos réseaux sociaux. Il y a un véritable écart de visibilité entre les joueurs pros et les joueuses pros. C’est très frustrant car nous faisons le même métier !”, souligne Ariane Provost, 30 ans, ancienne joueuse du LET.
Comme les contrats de sponsoring se renouvellent en général tous les ans, la stabilité contractuelle n’est pas pérenne. Cela peut ajouter une pression supplémentaire si la joueuse vivait un passage à vide pendant sa saison, car les gains récoltés lors des tournois ne permettent pas d’avoir une indépendance financière rapidement, surtout en début de carrière.
Cerise sur le gâteau, les joueuses, pour faire vivre leur image et être capable de la vendre ensuite, doivent aller à la rencontre de potentiels partenaires, prendre le temps de discuter et d’échanger avec les VIP ou les spectateurs lors des tournois. Des démarches chronophages : « Ce n’est pas toujours facile car il faut bosser dur, s’entraîner encore et encore pendant les tournois, observe Joanna Klatten. On n’a pas forcément le temps de discuter avec les gens, il faut s’entraîner, garder le rythme. »
Un manque de ressources financières
Le constat est saisissant. En 2022 encore, sur un tournoi équivalent, les joueuses peuvent gagner jusqu’à six fois moins que leurs homologues masculins ! Notons la différence entre les deuxièmes divisions européennes ‒ Challenge Tour vs Letas : la grande finale du Challenge propose un prize-money de 500 000 euros contre… 80 000 pour le circuit féminin (dotation qui a doublé grâce au travail d’un mécène). En moyenne, les prize-money sont de 230 000 euros pour le Challenge Tour contre 40 000 pour les joueuses tout au long de l’année.
Pourtant, les équipes d’experts, le temps d’entraînement, les frais de déplacement, tous ces coûts ne sont pas six fois moins élevés pour les joueuses.
Ce n’est pas Lucie André qui dira le contraire : « La chose la plus difficile à vivre en tant qu’athlète féminine, c’est le manque de gains par rapport aux garçons. On a le même travail, les mêmes dépenses mais un zéro en moins dans le prize-money. »
Conséquence : de nombreuses joueuses sont confrontées à une véritable précarité professionnelle, les obligeant à travailler en parallèle de leur temps d’entraînement.
Mes revenus liés aux compétitions ne me permettent pas d’être indépendante financièrement. Je suis obligée de travailler à côté et j’habite encore chez mes parents afin de poursuivre ma carrière
Emilie Alonso, 29 ans, joueuse du LET & du LETAS.
Menstruations et haut niveau, un tabou qui ralentit l’accès vers la performance
Autre frein au haut niveau : être une femme. Et avoir des cycles menstruels susceptibles de perturber fortement capacités physiques et concentration.
C’est un sujet qui concerne toutes les sportives mais qui reste tabou car peu ou pas du tout abordé. Toutes les joueuses que nous avons questionnées jusqu’à présent n’ont jamais été sensibilisées sur la relation cycles menstruels et performance.
Que ce soit par leurs coaches ou les différents intervenants au cours de leur carrière amateure ou professionnelle.
Joanna Klatten confirme : « Mon cycle menstruel joue sur mon rythme et comme j’ai un swing qui demande un certain timing, cela influence mon jeu. Que ce soit en amatrice ou en pro, le sujet n’a jamais été évoqué, mais dès que j’avais mes règles j’avais du mal à scorer. Mentalement je me sentais moins focus, j’avais plus de difficultés à gérer mes émotions. À l’époque c’était un peu tabou et lorsque j’avais essayé d’évoquer cet aspect, cela n’avait pas été bien accueilli. Désolée d’être une femme !
Ne pas évoquer ces aspects peut entraîner des dérives et une pression psychologique complémentaire. L’entraînement intensif des sportives peut amener à des pertes ou des modifications de leur cycle.
Pour certaines, l’arrivée des règles peut apporter son lot de symptômes inconfortables. À ce stade, elles doivent continuer à s’entraîner malgré leur présence. « J’ai toujours été dure au mal et si pendant cette période mes performances n’étaient pas optimales, c’était tout simplement de ma faute, car mes règles sont là tous les mois et je dois être en mesure de les gérer, partage Ariane Provost. C’est terrible, car cela m’impactait physiquement et psychologiquement. Ce n’est qu’après mes 20 ans que j’ai décidé d’accepter cet aspect-là. J’ai tout de suite été plus sereine et en accord avec moi-même. J’acceptais d’aménager mon entraînement et de faire avec les moyens du bord, sans culpabiliser ».
Je pense que le golf féminin a plus de choses à transmettre aux joueurs amateurs. Et puis, nous sommes plus abordables, nous partageons plus avec le public sur les parcours, il y a plus d’authenticité et de partage
Emilie Alonso, 29 ans, joueuse du LET & du LETAS.
En conclusion
Devenir une femme athlète de haut niveau est un parcours semé d’embûches.
« Ça me désole de voir ces jeunes joueuses qui ne gagnent pas assez et qui manquent de médiatisation et de soutien financier pour émerger, constate Joanna Klatten. Il est vrai que lorsque je repense au chemin que j’ai parcouru avant d’avoir mes accès, certains moments étaient vraiment compliqués. »
Proposer une vision complète du golf féminin professionnel c’est lever des verrous et permettre un meilleur accompagnement de la sportive vers son plus haut niveau, plus rapidement.
Valoriser cet écosystème c’est promouvoir une autre vision du golf et véhiculer d’autres valeurs.
Il y a encore une belle marge de progression dans le développement du golf professionnel féminin.
Néanmoins, nous observons des indicateurs positifs comme l’augmentation du prize-money sur LPGA ou encore l’initiative du promoteur français Stéphane Pourrain d’organiser la finale du Letas en améliorant considérablement les conditions pour les joueuses, notamment avec une augmentation de 2,5 fois du prize-money par rapport à 2021.
Le véritable enjeu est de tendre vers une égalité entre les joueurs et les joueuses en termes de visibilité et de rémunération.
Les autres défis qui sont à relever se conjuguent exclusivement au féminin, mais pourront être mieux gérés si on les considère pleinement dans le cadre sportif.
La route est encore longue pour permettre à un maximum de joueuses d’émerger sur la scène golfique, celle qui est toute rose.
Retrouvez tous les mois en exclu la chronique “golf au féminin” d’Aude Bredel sur le Journal du Golf.